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Prénom, Matthias. Nom de famille, Goering. Particularité, petit neveu du bras droit d’Adolph Hitler, Hermann Goering ; celui-là même qui signa la mise en place de la solution finale. Bilan : 6 millions de Juifs exterminés. Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil. Exemplarité de Matthias ? Avoir rompu avec son héritage luciférien, et rejoint le peuple d’Israël suite à une révélation mystique. Nous avons découvert son itinéraire hors du commun, mêlé de quête identitaire individuelle, collective, psychologique, religieuse, philosophique et spirituelle à travers un documentaire étonnant, coréalisé par Marie-Pierre Raimbault et Michaël Grynszpan : Descendants de nazis : l’héritage infernal. 1h20 d’émotion et de suspens. Qui sont ces descendants de nazis « philosémites », ou carrément devenus juifs, fervents partisans - ou même citoyens - de l’Etat d’Israël ? Que recherchent-ils ? Sont-ils responsables des fautes de leurs pères, et ont-ils, dans ce cas, devoir de réparer ? Ont-ils rejoint le destin juif, conscients des tenants et aboutissants de leurs nouveaux engagements, ou ont-ils bradé leur libre arbitre à la grande foire du « psychologiquement » et « humainement » correct ? Que signifie leur élan vers le « peuple victime » ? Un sujet sensationnel en somme. Pour autant, le spectateur ne se rend pas au cirque : on ne nous montre pas des « spécimens de foire » ! On explore, dans ce documentaire. On parle une langue de vérité. On confronte les représentations, on les met en perspective. On évoque la Shoah via des lieux hautement symboliques comme Yad Vachem (le musée-mémorial de la Shoah) en Israël, le Mémorial de Paris, ou les images d’archives qui, loin de plomber l’ambiance la densifient, et donnent à l’espérance la coloration historique qui lui échoit. Un film tout en subtilités. Un film tout en lumières et nuances. Un documentaire qui fait date. Audacieux donc, et non sensationnel. Les réalisateurs évitent l’écueil majeur qui consisterait à susciter la béatitude facile d’un spectateur assommé devant ces destins héroïques : ils rassurent, au fond, disent, substantiellement, que le spectre nazi est loin derrière nous, très loin derrière. Bref : ils nous délestent, si nous aussi, nous nous sentons lourds d’une mauvaise conscience. Oui, on a envie d’admirer, et de crier : « Bravo ! ». Aucune concession à la facilité, donc. On pose, les « vraies » questions, on en suggère d’autres : que cherchent ces descendants de nazis attirés par Israël et les Juifs ? De témoignages en éclairages, le sens émerge, paradoxalement, sans se figer dans une interprétation imposée. 1h20 de contrastes et de subtilités. Des contrastes en musiques, et en images d’abord : le Néguev, la Galilée, Jérusalem baignent le film de lumière, en contrepoint des archives de la Shoah ou de Nuremberg, « le Procès de », s’entend. Aux Eglises, répond le Mur des Lamentations, et réciproquement. Contrastes dans les témoignages aussi : les rescapés de la Shoah succèdent à l’interview de l’ex-officier nazi, Walter, dont le fils unique est devenu « un Juif parmi les Juifs ». Un jeune Allemand, Friedrich, qui effectue un an de travail volontaire en Israël ; un Allemand qui avance dans sa quête (Matthias), mais aussi un Allemand qui s’engage, à titre humanitaire, pour Israël, sans se convertir au judaïsme (Günther), mais en s’installant au bord du lac de Tibériade, depuis… quarante ans. Et enfin, un Allemand converti, devenu citoyen israélien, Yoram, dont l’épouse est juive. Quant à Esther Golan, juive et israélienne, rescapée des camps, elle aide certains Allemands à « faire la paix avec eux-mêmes », et les reçoit dans son appartement. Même les absents hantent l’écran : la petite nièce de Magda Goebbels, son unique descendante, convertie au judaïsme, a refusé de témoigner, Catherine Himmler aussi. Nous aurions bien aimé savoir pourquoi : honte, peur, pudeur, ou, plus simplement, volonté de préserver leur anonymat ? Interviennent aussi des intellectuels israéliens, religieux et laïcs : le rabbin Ouri Cherki, de Jérusalem, évoque le tikoun, une notion kabbalistique, qui se traduit schématiquement par : « réparation » et « perfectionnement » du monde, conférant un sens spirituel aux engagements de ces descendants de nazis ; Betty Rotjman, écrivain et philosophe à l’Université de Jérusalem, porte en exergue le côté « écorché vif » de ces descendants, et cette conviction que « le Bien doit l’emporter » ; l’Historien Moshe Zimmerman, dénonce, quant à lui, les fondements idéologiquement nazis de cette notion de culpabilité collective. Leurs apports sont indispensables. Difficile au spectateur de se perdre dans l’émotionnel : ému, il réfléchit. Pas à pas, le sens se construit sans s’imposer. La quête identitaire est là, omniprésente. Pour ces descendants de nazis, elle se joue en terme de nationalité (être allemand, ou autre ?!), de nom (garder le nom infernal, ou en changer), de terre (habiter l’Allemagne, la Suisse ou l’Etat hébreu), d’appartenance collective (« peuple » allemand ou peuple juif), d’implication (déni, conscience, engagement humanitaire, sioniste, religieux etc.), de langue (parler l’hébreu), de symboles (étoile de David autour du cou de Matthias, Menora dans son cabinet de kinésithérapeute à Berne, Mikvé, bain rituel d’eau de pluie, pour Yoram), de choix du conjoint : (juif, ou non juif), et de religion. Ces descendants de nazis embrassent-ils facilement le judaïsme ? Non. Günter n’en éprouve pas le besoin, mais ses enfants oui : tous deviendront juifs, et l’un d’eux ultra orthodoxe. Yoram s’est converti, et se défend d’avoir enclenché le processus sur l’alibi d’« effacer une faute » dont il n’est pas coupable. Le petit neveu d’Hermann Goering nous confie que les rabbins suisses ont rejeté sa demande de conversion. Il a trouvé un meilleur accueil en Israël. Reste que Matthias s’interroge : s’il prévoit de se convertir dans 1, 2 ou 3 ans, il n’a pas encore décidé quel mouvement rejoindre. Car, on le sait, le judaïsme actuel est divisé en de nombreux courants, et les oppositions doctrinales sont vives, voire irréductibles. Le choix de Matthias ne sera donc pas anodin. La réalité de sa conversion non plus : en filigrane du documentaire scintillent des enjeux religieux et spirituels, et non des moindres. Car la démarche de Matthias procède, d’après son témoignage, de la révélation mystique. Et s’il ne se convertissait pas, qu’est-ce que cela signifierait-il ? Intellectuellement, humainement pas grand-chose. Religieusement, beaucoup plus. Quête identitaire. Enjeux religieux. Un dernier fil rouge affère au questionnement moral, entre responsabilité et culpabilité. Les dirigeants nazis plaideront tous non-coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité lors du Procès de Nuremberg. Déni ou stratégie de défense ? Les Allemands d’aujourd’hui portent-ils la faute de leurs pères ? Les réponses affleurent. D’un côté, on plaide pour la responsabilité collective. De l’autre, on souligne, avec raison, qu’on n’est pas responsable des fautes de nos aînés, si nous ne perpétuons pas leurs égarements. Mais le « pompon » en matière de positionnement face à l’Holocauste revient indiscutablement à Walter, l’ancien nazi, que sa petite fille juive, israélienne et bien dans sa peau, aime inconditionnellement. L’interview qu’elle mène de son grand père vaut son pesant d’or. Le grand-père, officier nazi non-repenti, possède l’art de la formule: « Celui qui est coupable, c’est celui qui se sent coupable ! ». Grande leçon de vie ! L’entretien entre la jeune sabra et son grand-père nazi est le moment fort du film. Fort ? Dans la salle de projection du Grand Palais à Paris, où le film est présenté à la presse, les journalistes ont du mal à respirer ! La scène dure. Le vieux nazi suggère à sa petite fille, écartelée : « Tu dois prendre de la distance avec tout ça. La vie est beaucoup plus simple après ». C’est sûr ! Quand elle le confronte sur le fait que les nazis l’auraient déportée, il assène : « Tant qu’il y aura des hommes, ils s’entretueront pour n’importe quoi ». Imparable. La faute à personne, au fond, sinon à la nature humaine ?! Ovations dans la salle, la projection est terminée. Matthias nous réaffirme, pendant le dîner qu’il partage sur les Champs Elysées avec l’équipe de la Ména et le réalisateur du film Michaël Grynszpan, que, dans sa famille, on ne parlait pas. Impossible d’en savoir plus sur ce silence, auquel lui-même ne donne aucun sens. Une génération au moins d’Allemands s’est tue sur le massacre des Juifs. Le lendemain de la projection, je me retrouve à Bruxelles en présence d’une descendante de déportés, la grande journaliste belge Betty Dan ; elle avoue : « Je ne comprends toujours pas ». Elle tente de trouver un sens à la plus grande faute jamais commise par une partie de l’humanité. Elle n’y parvient pas. Comme pour des milliers de rescapés ou d’enfants de rescapés, la Shoah a marqué toute son existence. Heureusement, et pour la consoler, Betty trouvera dans le film de Grynszpan et de Marie-Pierre Raimbault la phrase d’Ephraïm Moll, un enfant juif qui doit sa survie à son penchant pour la tarte aux pommes : « Hitler a réussi à brûler les corps mais pas les âmes ». Des mots qui en disent long dans sa bouche : il s’est installé en Israël où il collectionne désormais les arrière-petits-enfants. Alors, ce documentaire extraordinaire : un « tikoun » à lui tout seul ?! Il faudra attendre la rentrée pour voir Descendants de nazis : l’héritage infernal programmé sur France 3. Un documentaire qui remue les perceptions en évitant les clichés et le commentaire magistral : à ne manquer sous aucun prétexte. Metula News Agency © Pour en savoir plus sur le film : info@isratv.com |